La Libération de Beaumont en août 1944
Il y a maintenant de nombreuses années que cet événement s’est déroulé. Les témoins encore vivants sont de moins en moins nombreux, les écrits sur ce sujet sont assez rares, alors que beaucoup de belmontais sont curieux de connaître les péripéties de ces jours dramatiques.
Il m’a semblé nécessaire de relater ce qui s’est passé dans notre petite cité en ces instants historiques, en m’appuyant sur des témoignages d’acteurs, des documents écrits de l’époque et des photos, contribution à une meilleure connaissance de notre passé. (1)
Il faut reconnaître, avec le chanoine FROGER, curé de l’époque, que Beaumont et ses environs immédiats ont été relativement protégés et les pertes en vies humaines et en destructions, minimes comparativement à beaucoup de régions françaises.
C’est qu’il s’agissait de libérer notre pays, par la force, d’une occupation implacable et barbare qui durait depuis quatre ans et les combats sanglants ravageant depuis le 6 juin la Normandie, et maintenant le Maine, nous faisaient craindre pour les vies et les biens. Depuis la destruction du Pont de Saint-Marceau, le 8 août à 15 h 30, les bruits de combat, tirs de canons et de mitrailleuses, survols d’avions, éclairs de balles traçantes, se rapprochent. Le Mans étant libéré, il nous semblait que la bataille empruntait les routes de Montbizot ou de Ballon, au-delà de Maresché. La population essayait de se protéger : soit en creusant des abris dans leur jardin, soit en se groupant dans les quelques caves voûtées du centre-ville comme la quarantaine de paroissiens réfugiés dans celle du presbytère avec Monsieur le Doyen dans la nuit du 9 au 10 août, soit en s’éloignant dans la campagne comme cette vingtaine d’habitants de la Croix-Verte, partis dans la journée du 9 se camoufler dans un chemin creux, près de Belévent, les haies qui le bordaient et se rejoignaient à leur sommet assurant une protection visuelle parfaite, abri qu’ils ne quittèrent que le 10, dans la journée, après la destruction des ponts de Beaumont.
Le jeudi 10 août fut la journée la plus importante de la libération de Beaumont. Au matin les troupes allemandes occupaient encore la ville : des blindés circulaient dans les rues et sur les places, le château, étant toujours occupé, son donjon servait d’observatoire pour suivre la progression des forces alliées au Sud, alors que la route de Sillé était surveillée depuis les fenêtres de l’Hôtel de Ville. Des soldats allemands, logés par réquisition dans la chambre des commis du moulin, montaient la garde sur les deux ponts qui avaient été minés en disposant des charges explosives sur les deux arches centrales du Pont Roman et six torpilles semblables sur les câbles du Pont Suspendu à l’entrée Sud des chambres à câbles.
Toute la matinée « canons et mitrailleuses se font entendre, tandis que des avions américains survolent le « Duché », les bois de Maresché et la route du Mans ». En effet, la bataille se rapproche, puisqu’à 14 h, l’entrée Sud de Maresché est atteinte par les troupes alliées qui aborderont Vivoin vers 16 h, et qu’un détachement de blindés français libèreront Saint-Marceau vers 17 h 30. Aussi, à partir de 11 h, les forces allemandes se regroupent sur notre coteau, probablement pour opposer une résistance aux américains. Quelques coups de canon furent tirés et un obus venu on ne sait d’où, « éclatant sur la fenêtre d’une mansarde, face à l’Eglise, à l’angle de la Place Drouin, endommagea la toiture de l’Eglise et des éclats traversèrent le coq du clocher ». Des moyens de défense furent mis en place notamment un canon, en haut de la descente de la « Grave », surveillant la Nationale jusqu’au Chemin de Crottay, et une mitrailleuse, à mi-côte dans la rue Albert Maignan, juste en dessous de la boucherie, prenant la rue et le Pont Roman en enfilade.
Au tout début de l’après-midi, un détachement de blindés allemands remonte l’Avenue d’Alençon à vive allure car la fuite vers le Sud va bientôt être impossible. En effet, à 14 h 22, une terrible déflagration se fait entendre et des gravats sont projetés très loin (j’en ai reçu dans le jardin de mes parents, Avenue d’Alençon). Ce sont les deux arches centrales du Pont Roman qui viennent de sauter provoquant une brèche de 18 m de long. Après un court répit permettant à la poussière de se dissiper une nouvelle explosion se produit vers 15 h : les charges explosives placées sur les câbles du Pont Suspendu ont été allumées par les soldats allemands et le tablier s’est effondré dans le lit de la Sarthe. Toute communication par la route de Beaumont vers Le Mans ou Ballon est coupée : les forces occupantes ont ainsi protégé leurs arrières, mais elles ne peuvent plus se dégager de l’encerclement qui se précise que vers le Nord.
Les habitants de la « Croix Verte » pensent que maintenant leur quartier est plus sûr et ceux qui s’étaient camouflés près de Belévent regagnent peu à peu, les uns après les autres, leurs demeures quittées la veille et laissées sans protection. L’un d’eux, ancien maréchal-ferrant, curieux et sans peur, voulut aller voir ce qui se passait dans son jardin le long de la fausse rivière. Lorsqu’il ouvrit le portail de la grange, une balle, tirée probablement du château, lui siffla aux oreilles et se planta dans le montant de la porte où la trace est toujours visible. Mr VAULOUP se mit prestement à l’abri, heureux de s’en tirer à si bon compte. Il eut plus de chance que les quatre personnes cachées dans la cave de la maison de Mr et Mme FOUQUET, rue du Pont Romain tout près de la fausse rivière. Les deux hommes, voulant, eux aussi, juger de la situation, entrouvrirent la porte double de la cave donnant sur le jardin. Les servants de la mitrailleuse en embuscade, rue Albert Maignan, croyant avoir affaire avec des éléments de la Deuxième Division Blindée de Leclerc (qui d’ailleurs firent une reconnaissance dans ce quartier vers 17 h ) envoyèrent une rafale qui tua Mr GAUDEFROY et Mr FOUQUET, propriétaire, et blessa les deux femmes. C’est pour leur assurer les premiers soins que Mr LE CUZIAT traversa la rivière en bateau, et en profita pour contacter des éléments des troupes alliées.
Dans la soirée quelques échanges de tirs d’armes automatiques seront effectués entre belligérants. Puis vers 19 h 30 des avions américains mitraillent et lâchent des bombes sur un détachement de blindés allemands qui avaient trouvé refuge près de la gare, dans le chemin longeant la ligne de chemin de fer. Ils quittèrent rapidement ce repaire devenu dangereux pour eux et prirent la route de Fresnay, le pont du Guelian étant toujours intact. Ils imitèrent en cela l’autre partie de cette force blindée qui avait tenté de se retirer en direction de Juillé vers 17 h 30 mais avait dû faire un rapide demi-tour et gagner Fresnay en apprenant que la Deuxième Division Blindée était à Juillé et gardait le pont intact. Vers 22 h un dernier coup de canon se fit entendre et une heure plus tard les derniers soldats allemands avaient quitté le territoire de notre chère commune.
Au matin du vendredi 11 août, il n’y avait plus aucune communication possible entre la Croix-Verte et la ville de Beaumont sinon par bateau. Aussi, de très bonne heure, de jeunes belmontais se réunissent près du Vieux Pont pour essayer de rétablir très rapidement un passage pour les piétons. Après concertation, ils décident d’aller au dépôt « Maine-Anjou », ancêtre d’EDF, et y prennent des poteaux en ciment pour lignes électriques qu’ils disposent au-dessus des arches détruites de ce vieux pont, d’une pile à l’autre, constituant ainsi une passerelle de dépannage, en attendant mieux. Mais certaines personnes, sujettes au vertige et la trouvant trop étroite, préfèrent utiliser les barques, mises à disposition par des passeurs bénévoles, entre les jardins du Colinet et la maison FRENEHARD (aujourd’hui BELLESSORT). Dans la journée, les services des Ponts et Chaussées, aidés par des ouvriers recrutés par la Mairie, établirent une passerelle en bois plus commode et plus sure, quoique demandant le pied marin : elle reposait sur des fûts vides flottant sur les eaux de la Sarthe.
A 10 h, les premières troupes alliées (blindés américains) arrivent à Beaumont et à 11 h, après que les cloches de l’Eglise eurent sonné à toute volée, une brève cérémonie patriotique se déroula au Monument aux Morts, Place d’Armes.
Mais les troupes américaines avaient besoin de transférer rapidement leurs convois automobiles et blindés vers le Nord vers la Normandie et donc de traverser la Sarthe. Elles disposèrent de grands filets métalliques (utilisés aussi pour construire les pistes provisoires d’aérodromes) dans le lit de la Sarthe, au gué près du Moulin. Elles créèrent aussi une route dans les prés de la ferme du « Mortier ». Cette nouvelle voie sera celle empruntée dorénavant pour toute la circulation automobile de la RN 138 voulant traverser Beaumont et ce jusqu’à la restauration ou la reconstruction des Ponts, c’est-à-dire Mai 1945 pour le Pont Roman et … 11 septembre 1949 pour le Grand Pont. Cette déviation prenait naissance au sud à la Croix-Verte, empruntait le Chemin du Mortier puis la route nouvelle, passait la Sarthe sur un pont en bois sur pilotis construit par les américains après la libération, remontait le « Tertre de Chaligné » pour rejoindre la route d’Assé puis celle de Ségrie afin de retrouver la RN 138 sur la Place de la Mairie qui prit le 15 septembre 1945 le nom de Place de la Libération.
Ce pont en bois provisoire dit « Pont américain » fut réalisé d’après les plans des ingénieurs américains, approuvés le 23 septembre 1944, complétés par des instructions fournies à Mr FURET, ingénieur TPE, le 4 octobre. Après terrassement par l’armée américaine, c’est une entreprise française qu’elle chargea du travail. Au début, ce pont de 83 m fut interdit aux piétons afin de ne pas entraver le passage à « marches forcées » des unités combattantes, mais les concepteurs des plans avaient prévu l’adjonction d’un trottoir, ce qui se fit ensuite. Il fut démonté en novembre et décembre 1949 après la mise en service du Grand Pont en béton dont l’inauguration, le 11 septembre 1949, avait donné lieu à une grandiose et magnifique journée de fêtes, clôturée par un grand bal populaire sur le nouveau pont.
En même temps qu’il aménageait le Gué, le Génie américain, afin de faciliter le passage des blindés, amena les éléments d’un pont métallique dit « Pont Bayley » qu’il monta le 12 août sur le Pont Roman ou plutôt sur ce qui en restait, c’est-à-dire les piles et les arches des deux extrémités. Mais pour ce faire, il dut pousser dans la rivière la partie restante des parapets sauf les sept ou huit mètres, en arrondi, proches du Colinet, qui ne gênaient pas, l’entrée du pont sur Maresché étant plus large que sur Beaumont. Ceci explique (question qui me fut posée par les ouvriers de l’entreprise spécialisée qui restaura les enduits du Pont Roman en 1995) pourquoi les matériaux de cette partie (mêmes pierres que les arches du pont car datant de la même époque) sont différents de ceux des parapets reconstruits en 1945 ( pierres froides de Ségrie).
Ce pont provisoire permit, dès le dimanche matin 13 août, vers 10 heures, le passage de nombreux blindés alliés afin de soutenir les troupes combattant en Normandie. Il ne resta en place que quelques jours car redémonté pour servir plus loin, suivant la progression des Armées alliées. Un nouveau pont provisoire en bois fut alors installé par les services des Ponts et Chaussées pour les piétons.
Il fallut ensuite penser à la reconstruction des arches détruites : déblaiements, récupération des pierres de roussard couronnant les parapets, réfection des voûtes en maçonnerie (mars 1945), exécution des parapets, remblaiements de l’ouvrage et réfection de la chaussée. Le Premier mai 1945, la circulation était rétablie sur notre Pont Roman. Mais les services compétents rappelaient que la consolidation de la base des piles restait à effectuer. Ce ne fut pleinement réalisé que … 50 ans plus tard lors de la grande restauration de ce bijou de notre patrimoine en 1993-95.
« Tout vient à point à qui sait attendre ».
Le Maire Honoraire,
Jean-Marie FOUSSARD.
(1) Registre municipal des éléments remarquables. Registre paroissial. Archives de la Subdivision de la DDE. Fascicules d’A.AUBRY. Mme Th.BOULARD. Mr NOEL. Archives personnelles.